L’emprise psychologique est le terme que l’on donne à une forme de domination mentale qu’un individu exerce sur un autre en ayant main mise sur ses pensées, ses émotions et même sa volonté. Ce phénomène ne se limite absolument pas à la figure un peu stéréotypée du pervers narcissique. Il peut survenir dans de multiples contextes du quotidien et à tout âge de la vie. C’est un des phénomènes des plus toxique qui peut exister dans les relations humaines et dans la vie.
Comment la détecter et comment s’en libérer ?
C’est un phénomène qu’on peut voir se manifester dans le cadre familial, professionnel, conjugal et on peut voir que les manipulateurs qui tentent de dominer les autres, vont essayer d’avoir un impact sur différentes sphères de leur vie.
La mécanique de base reste semblable : une personne prend l’ascendant sur une autre de façon progressive jusqu’à en arriver à contrôler ses pensées et ses comportements.
Comment s’installe cette emprise ?
Cette emprise s’installe progressivement, petit à petit. Si cela arrivait de façon soudaine ou brutale, on s’en rendrait compte et on s’en préserverait.
Le fait que ça puisse fonctionner, c’est parce que ça va se faire, par petites touches, progressivement, et on ne s’en rend pas compte lorsque ça se met en place.
De manière générale, au début, il y a toujours une phase de séduction qui va pouvoir prendre différentes tournures en fonction des contextes.
Dans le cadre d’une relation de couple, ça pourrait correspondre à tout un genre de déploiement de charme, et la personne va être extrêmement agréable, qui va faire des compliments, qui va faire des messages positifs.
ça peut prendre aussi la forme de services rendus, petit à petit, la personne va prendre une place significative et pour peu que nous soyons un peu sensible, déstabilisé ou fragile et donc on va chercher autour de nous, des personnes qui vont nous apporter ce dont on manque par ailleurs. C’est précisément à ce moment-là que va se nicher la personne qui plus tard, va exercer son emprise.
Souvent ce phénomène, peut aussi se mettre en place lorsqu’il y a une relation complémentaire en deux individus.
Lorsqu’il y a un individu qui occupe plutôt une position haute et l’autre une position basse, c’est notamment le cas par exemple entre un professeur et un élève, entre un parent et un enfant, dans ce cas de figure là, on peut voir l’autre comme étant une figure d’autorité, un grand maître dans un domaine en particulier, et donc vouer une sorte d’admiration pour l’autre. Donc tous les messages d’attention, voir toutes les paroles, vont être reçus en plein cœur et vont créer l’attachement initial.
Une fois que l’attache émotionnelle est là, c’est à ce moment-là que l’on va voir le ton qui change subtilement.
Dans la deuxième phase, le manipulateur va commercer à tester son emprise et son pouvoir.
Cela peut prendre la forme dans un couple de petites critiques déguisées :
« tu es sure que tu veux porter ça ?? », « c’est pas très flatteur, c’est pour toi que je dis ça »…
Ou alors : « on est bien tous les deux, là, non ?? » « tu es sur(e) que tu as envie d’aller voir tes amis qui ne sont jamais là quand tu as besoin d’eux ! » « Reste avec moi ! »
Au début, ce sont des mots dits sur le ton de l’affection, de l’attention portée à l’autre, mais petit à petit, ça peut prendre une forme plus agressive. Les pics qui peuvent être envoyés peuvent être dits avec humour, ce qui va bloquer l’autre dans la relation, par exemple :
« Tu es vraiment nul(le) en cuisine, tu ne veux pas que je le fasse moi ? » « Tes amis sont vraiment tous des crétins, tu vaux beaucoup mieux qu’eux, je ne sais pas comment tu as fait pour être ami(e) avec eux »
Progressivement, il va y avoir des petits messages qui vont s’attaquer à l’identité, aux compétences de l’autre, et le manipulateur va se faire passer pour la personne brillante, celle qui est la mieux intentionnée, celle qui va protéger, celle qui va préserver, qui sait comment faire, qui connait le mieux la victime.
« je te pique un petit peu mais c’est de l’humour,  je me suis agacé, mais c’est parce-que je tiens à toi » et ce double message va commencer à altérer les facultés de raisonnement de la personne qui subit cela.
Souvent on a à faire à des profils de personnes qui vont être extrêmement jugeantes et critiques envers les autres.
Petit à petit cette personne s’y prend subtilement pour attaquer l’estime de soi des victimes, la position haute va être de plus en dominante et progressivement, la victime va être de plus en plus isolée et l’autre va devenir son monde.
Soit l’abuseur l’a convaincu que les autres lui veulent du mal, soit il s’est arrangé pour qu’il se fâche avec tout son entourage, soit il interdit carrément de voir certaines personnes ou de dire certaines choses et la victime qui est déjà affaiblie dans son estime, se soumet.
Elle va alors se couper progressivement de ses repères et la relation d’emprise va agir comme un lavage de cerveau.
Le manipulateur a désormais le champ libre pour imposer sa réalité. On a à faire à du gaslighting avancé. Il lui reproche tout et son contraire, puis il nie avoir reproché, par exemple il peut hurler sur elle pour un détail puis le lendemain prétendre que non. « tu as trop crié, tu inventes, tu es trop sensible ! »
Il va critiquer chaque pas que la victime fait par elle-même en disant « tout ça tu le mérites pas, ou c’est grâce à moi que tu en es là ».
Le but du manipulateur à ce moment-là, c’est de dire : « tu n’es rien sans moi ! » et c’est à ce moment-là que peur et confusion rentrent en scène.
La personne a peur de contrarier son bourreau, peur de le perdre aussi paradoxalement, elle y tient, et elle est confuse car elle ne sait plus distinguer le vrai du faux dans ce qu’il lui raconte. Tout cela aboutit à la troisième phase : « la dépendance totale » et c’est à ce stade là que les personnes de l’entourage peuvent se dire : « pourquoi elle reste ? pourquoi elle continue à subir ça ? comment elle accepte qu’on lui parle comme ça et qu’on la traite comme ça ? » et si on juge l’état de la relation de l’extérieur, c’est qu’on n’a pas compris comment ça s’est installé progressivement avec le temps, parfois les années.
On en arrive à la question : « Pourquoi c’est si difficile de sortir de l’emprise ? »
Deux raisons principales :
La première parce qu’elle est addictive et la seconde parce-qu’elle est paralysante.
Addictive car il y a ces doses d’amour qui sont distillées de temps en temps et qui font miroiter ce qui a déjà été ou ce qui a pu exister dans le passé.
ça peut paraitre bête, mais notre esprit, après avoir souffert, a besoin de réconfort et de récompense et c’est à cet endroit que l’autre va venir se loger, c’est-à-dire qu’il est à la fois le bourreau et le sauveur. Et rappelons-le, parce qu’il y a eu cet isolement qui s’est mis en place. Du coup, la victime va manquer de regard extérieur pour venir lui dire que ce qu’elle vit ce n’est pas normal.
Il y a aussi un phénomène qui s’appelle l’impuissance apprise. Le caractère aléatoire des disqualifications, des attaques puis ensuite des messages de confirmation, va placer la victime dans une forme d’impuissance ce qui fait qu’elle ne cherchera plus à sortir de la situation qui l’opprime.
Il y a plusieurs éléments qui vont permettre de sortir de l’emprise :
La première sera à un moment donné un sursaut de survie c’est-à-dire qu’il va y avoir une frontière qui va être franchie et la personne va se dire à partir de ce moment -à : « je n’accepte plus d’être traitée comme ça » mais dans une grande majorité des cas, il faut un élément extérieur pour venir briser cette emprise.
Cela peut être un tiers, par exemple un ami de confiance, qui va venir avoir une conversation sincère avec l’autre pour lui dire : « tu ne peux pas continuer à accepter ça » ou une intervention d’autorité, la police ou la justice lors d’une violence constatée.
Alors qui sont ces fameux manipulateurs ?
Est-ce qu’ils ont un profil type ?
On parle beaucoup de « pervers narcissique » mais ce terme là il est relativement galvaudé. Oui il existe des personnalités narcissiques et manipulatrices, ceux qui n’éprouvent pas d’empathie, qui se sentent supérieurs et traitent les autres en objet pour assouvir leurs désirs. Clairement ces personnes-là sont championnes pour créer de l’emprise, mais attention tous les pervers narcissiques ne créent pas des situations d’emprise et toutes les situations d’emprise ne sont pas créées par des pervers narcissiques.
Parfois on a juste à faire à quelqu’un de très jaloux, de très autoritaire, de très imbu de sa personne, mais sans avoir à faire à un diagnostic précis.
On relèvera un point commun chez ces abuseurs, souvent ils ont eux-mêmes un passé de souffrance ou de manque. Certains ont énormément besoin de contrôle, parce-qu’ils ont peur d’être abandonnés ou ils ont une blessure d’ego béante. Ça explique pourquoi mais ça n’excuse rien.
Alors comment fait-on pour se libérer d’une emprise ?
La première étape est de s’en rendre compte.
J’appelle à toutes les personnes qui peuvent sentir qu’une ou un de leur proche peut être pris dans ce mécanisme d’emprise, à essayer de le lui dire en ayant un dialogue constructif pour que les personnes puissent le conscientiser.
Du côté de la victime, il y a un réflexe de défendre le bourreau qui fait office aussi de sauveur et on peut voir les amis de longue date, la famille, l’entourage, qui nous disent que ce qu’on vit n’est pas normal, comme étant des jugements, donc autant que possible, il faut essayer de pouvoir se dire que si les personnes qui tiennent à nous, qu’on connait de longue date et qu’on affectionne, c’est qu’ils veulent notre bien et qu’il y a quelque chose à en entendre.
Parfois on écoute pas car on a honte, ou qu’on a pas envie de se dire qu’on s’est trompé sur l’autre, et c’est important de pouvoir dépasser ce sentiment parce que OUI, ça arrive à des personnes extrêmement intelligentes, de se faire manipuler par les autres et j’ai même envie d’aller plus loin, ça arrive encore plus fréquemment aux personnes qui ont une grande intelligence émotionnelle c’est-à-dire celles qui ont une grande capacité d’empathie parce que ce sont elles justement qui ne vont pas juger le comportement de l’autre comme étant problématique.
La deuxième étape importante sera d’aller chercher de l’aide :
Parler à un ami proche, un membre de la famille mais dans tous les cas essayer de briser cet isolement qui s’est mis en place.
Le simple fait de parler à une personne, ça peut être aussi un professionnel, un thérapeute, un psychologue etc… va permettre de prendre du recul par rapport à ce qu’on est en train de vivre et ça c’est une étape très importante.
Et la troisième étape ça va être d’élaborer un plan pour sortir de cette relation.
Il y a une chose certaine, c’est que la sortie de l’emprise ne va pas plaire du tout au bourreau manipulateur. Dès l’instant qu’il va commencer à sentir qu’il est démasqué et en train de perdre son pouvoir, il va attaquer.
Il faudra donc évaluer les risques, ne pas partir sur un coup de tête ! parfois, ça nécessite de préparer le terrain de prendre des mesures pour l’après, s’assurer qu’on puisse être accueilli chez des amis ou de la famille.
Dans ce type de configuration, la sortie représente un acte de courage absolu.
La quatrième étape va être la reconstruction. Parce-que une fois sorti de la relation d’emprise, tout n’est pas fini. C’est souvent là qu’on réalise l’ampleur des conséquences psychologique en ce qui concerne l’estime de soi, d’anxiété, et parfois il peut y avoir des syndromes de stress post traumatique. Il va falloir tenter de reprendre du lien social, des activités qu’on avait peut-être abandonnées, mais surtout réapprendre la liberté.
L’emprise psychologique est un phénomène extrêmement complexe, éminemment toxique et destructeur, mais ce qu’il faut toujours retenir, c’est que lorsqu’on en sort, les conséquences positives sont vraiment significatives.
Si vous pensez en être victime ou qu’une personne de votre entourage l’est, il y a des solutions.
L’emprise ne prospère que dans le secret et l’isolement et aucune relation ne mérite qu’on se perde soi-même. Reprendre le contrôle de sa vie ce n’est pas trahir l’autre, c’est se respecter soi. Et n’oubliez pas, il y a une vie après l’emprise souvent plus belle plus forte et assurément plus libre.